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Sur le ponton de cèdre blanc, les voix se sont tues, plongeant dans le silence glacé, le lac de brume.
Le jeune chevalier observe en silence les deux silhouettes, en kimono emmitouflées, au creux de la montagne aux sapins noirs que la neige macule.
Le pur-sang du guerrier crache la vapeur et ses yeux sont fiévreux.
Les rires de petites filles, des jeunes geishas raisonnent encore dans l’ancien cratère devenu cirque, comme des chuchotements impolis.
Elles osent évoquer l’amour d’un guerrier pour une prostituée et en rire.
Elles évaluent l’amour porté à la pension qu’il attribue à l’objet de ses sentiments.
Bientôt, il l’achètera à la tenancière de la maison de plaisir du village et elle deviendra sa femme :
la prostituée d’un seul homme, soumise et dévouée comme doit l’être une femme,
amoureuse et pleine de science dans l’art de donner le plaisir à son maître, comme l’est une geisha.
Mais cet amour ne l’est pas car elle ne le partage pas.
Son destin était d’être consommée par un mari assez riche pour la posséder.
Qu’il soit jeune ou vieux, elle s’est jurée de ne jamais l’aimer, celui qui l’a achetée.
Et elle se vengera de sa condition.
Car si une geisha sait donner le plaisir, les meilleures d’entre elles sont maîtresses
dans l’art de tenir l’homme à distance, en haleine, le laisser croire jusqu’au dernier moment
qu’elles s’offriront à lui et finalement le briser dans son amour propre, dans son amour réel, l’avilir, le déshonorer.
Ce qu’il ne pourra jamais supporter.
Ce sont de telles filles qui seront le plus appréciées, les plus inaccessibles à l’amour sincère et si faciles cependant, quand elles le veulent.
Les maîtresses dangereuses pour l’équilibre mental d’une armée de samouraïs dévoués à leur seigneur.
Voilà celles qui peuvent gagner une guerre ou la faire perdre.
Si frêles, chaudes et blanches, les deux colombes rient toujours.
Hormis les rires, le silence est total, un bruit sourd imperceptible.
Le cheval tremble : il a froid.
Son maître, à terre, gît dans la neige rouge, le ventre ouvert de gauche à droite.
Le katana sourit en silence en remerciant les femmes de joie d’être là pour qu’il n’ait pas à se briser contre un rocher ou un autre sabre.

JPABT