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Il est encore la nuit chez moi. Ici, le soleil vient de se lever. Je suis de quart à la passerelle.
La tête vague, à peine réveillé, les yeux pleins de merde, bref la tête dans le cul.
Il a fait froid cette nuit et ça commence déjà à taper dur. Saloperie de soleil.
Les jumelles collées au visage, à l’ombre d’une bâche j’observe au loin, cette ligne ténue qui soi-disant sépare le ciel de la terre ou de la mer.
On n’attend pas la venue du bouffeur d’horizon, volant ou flottant, qui va nous épingler à son tableau de chasse, mais on s’y prépare.
Ce sera la surprise, enfin pas vraiment, parce qu’on a le même type d’armes à bord.
On se fera buter par le fleuron de la technologie française, ce poisson volant qui fait tant de dégâts quand il s’envole et marche ou pas : l’exocet.
Mais d’ici là, ce n’est pas encore la guerre.
Moi, je m’en fous, j’aurais peut-être pas à me battre, trop occupé à recoller les morceaux des types qui se seront trouvés là par hasard, sur le passage du phallus explosif.
Si je ne me retrouve pas à essayer de recoller mes propres morceaux. Ici, on ne sait plus que croire,
alors on croit le pire, histoire que la guerre conventionnelle ou même chimique, nous paraisse une bénédiction.
Alors il me prend de rêver, et souvent lorsque le soleil se couche dans mes jumelles, je te vois toi, vivante, en métropole, rigolant,
sortant avec d’autres types qui n’ont pas ma chance, en aimant certains qui n’ont pas mon bonheur.
A chacun de tes mouvements, tissée à moi de fils invisibles, c’est mon cœur et mon ventre, c’est ma peau, plantés d’hameçons, qui me déchirent.
Même à des milliers de kilomètres de là, plus que mes penser, mes rêves sont des cauchemars, car tu me fuis inlassablement, insaisissable et plus belle chaque jour.
Quelque soit la distance, j’ai mal de cette toile de doutes, tissée par l’araignée Jalousie. Pourtant, il n’y a aucun doute à avoir. Tu ne me dois rien et moi non plus.
Mais pour moi, je te dois beaucoup, c’est comme si. C’est ça que j’appelle des liens.
Je t’aime. C’est clair et limpide, autant que le fait que ce sentiment n’est plus partagé. Alors ! Douter de mes propres sentiments ?
Me dire qu’en ce monde, il y a une ou plusieurs femmes qui m’aimeraient et éclipseraient ce « nous » auquel je me raccroche comme à une bouée pour ne pas boire la tasse.
Pourtant, j’ai continuellement en bouche le goût de l’amer. Peut-être, une princesse des mille et une nuits ?
Bagdad. J’ai hâte d’être au débarquement, ne me fais aucune illusion sur l’envie des princesses du coin, de tomber amoureuse d’un envahisseur.
Nouvelle Indochine, nouveau Vietnam, dont le noir enjeu verra couler notre sang rouge et le leur, pour qu’au pays de Picsou, la caste pétrolière puisse continuer à palper encor plus de ces billets verts.
Ci-après, les marines, la marine française, ces empaffés de rosbeef : les envahisseurs, redresseurs de torts, qui pour instaurer la paix vont chasser le tyran, lanceur de missiles, ami d’hier, ennemi d’aujourd’hui.
Hypocrisie tellement grosse et qui comme tout, passera par le prix du sang versé, comme légitimité.
Toi, ne souffre pas trop, en France. Quand, j’aime, même trompé, c’est pour toujours.

JPABT