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Le doigt entre les lèvres, comme si je me posais des questions, je rêvais d’un ailleurs meilleur.
Et c’est pourtant, le doigt tendu sur la détente que je me portais candidat volontaire pour une vie en enfer.
Il était face à moi, ni beau, ni laid, ni grand, ce n’était pas « monsieur Ménard » (Michel Sardou) mais il était monsieur réussite personnifié.
Il avait le sens des affaires, le flair, la jeunesse, la santé que je n’avais plus ; Moi le petit-petit, celui qui du bien, a réussi sans effort à extraire le mal.
C’est cet homme-là que des journaux vont glorifier, que des femmes vont pleurer.
C’est de moi dont on va parler enfin, avant que de me juger, me calomnier, me condamner, m’électrocuter…
Pourquoi lui et pas un autre ? Pourquoi cet homme ? En vérité c’est égal.
Il était un prétexte, comme toute cette histoire pour mettre en avant le temps d’une fraction de minute,
l’éternelle médiocrité d’un inconnu fade et sans courage, qui n’ira même pas jusqu’au bout de son geste,
pris par la peur panique des châtiments de la société envers ce genre de médiocrité là, bête, très bête et méchante à pleurer de rire.
A quoi cela aurait-il pu lui servir ? La mort d’un pauvre type qui n’en était pas un. Les lois de la nature pratiquement renversées.
Le fort, père de famille, face au faible d’esprit, celui qui a dérapé tout petit à cause de ceci ou de cela. J’veux pas savoir.
Le geste est là, suspendu entre avant et pendant, et il attend le jaillissement de métal.
C’est un torrent des hauteurs qui s’engouffre de plus en plus violemment dans le lit d’acier rayé, hélicoïdal du canon de l’arme.
Il laisse entendre un roulement en arrachant à son passage des tonnes de rochers imaginaires.
Force non naturelle, à peine l’entendant, qu’elle est à son but et perfore une autre montagne.
Par la volonté d’une personne, ainsi deux montagnes peuvent se rencontrer le temps d’un coup de tonnerre.
Et de déverse dans la vallée, un flot nouveau, abreuvant les sillons de notre terre écarlate.
La force de ce torrent d’acier est telle que la montagne s’use de l’intérieur et le torrent qui s’en écoule, c’est sa vie qui la quitte.
La montagne, peu à peu vidée d’essentielle substance, s’écroule sur elle-même et s’effrite.
C’est le torrent de la haine, du désespoir et de la peur du lendemain qui a fait céder le barrage mal assuré des tabous de la société.
Un flot de boue du fond du crâne s’écoule mollement de cette montagne ouverte.
Elle est rouge, brûlante, incandescente, c’est une lave noire de l’encre qu’elle a fait couler, corrosive à souhait.
Et le faible qui vient de déborder se rend compte que le geste est irréparable et il se bouffe de remords ou bien de peur.
Il n’en est pas encore aux regrets, il n’en aura pas le temps, et se ronge intérieur.
Un volcan de la loi est prêt à exploser au nom de la justice, canalisant son acier par devers la montagne vidée
prête à tout moment à recommencer, tellement le flot de la panique est violent.
La montagne épuisée de vivre, braque son feu sur le volcan qui jaillit de feu et d’acier,
à hauteur du plus bas niveau du crâne perçant une échappée, afin que la pulpe restée au fond,
couleur merde, s’écoule pour une bonne fois, dans une musique d’hallali.
Ce ne sont là qu’engrais pour bonne terre et qui s’en souvient l’instant d’après ?
Perdus dans l’oubli, d’une soi disante mémoire collective, et peu importe la manière de rendre à la terre sa substance,
la vie d’une poussière est plus longue que celle d’un tas de poussières en tas, en état.

JPABT