MEDUSE
Par J.P.ABT le vendredi,28 octobre 2011, 14:36:00 - Nouvelles - Lien permanent
Echouée sur la plage au soleil couchant j'ai recueilli
une méduse aux fils argentés. Elle n'était pas belle. On aurait dit un tas de
glaires translucides. Je me suis brûlé les mains en la portant. Alors j'ai pris
des gants pour la plonger dans un aquarium d'eau de mer. Ella a bouffé tous les
poissons qui s'y trouvaient pour faire beau. Alors elle m'a dit merci. Elle
s'est épanouie et s'est mise à luire dans l'aquarium. J'ai éteint la lumière et
ça se reflétait sur les murs bleus. J'ai allumé le laser et le cd a porté ses
notes jusqu'à la paroi de verre de son refuge. Les vibrations, elle les a
ressenties agréablement et les lumières se sont faites plus douces, plus
changeantes aussi. Je lui ai parlé et elle réagissait de lumières en lumières
dans des teintes sentimentales, comme un appel. J'ai changé de cd et j'ai
balancé la gomme d'une musique synthétique aux airs marins. Ses lueurs sont
devenues provocantes, engageantes et je me suis mis à me poser des questions
sur leur nature. Etait-ce pour me remercier ou par simple curiosité animale?
N'y tenant plus, j'ai laissé tomber mon peignoir encore humide et je me suis
plongé avec elle dans l'aquarium. Chacun dans son coin, on s'observait. Je
n'osais rien faire pour ne pas l'intimider. Ses fils semblaient hésiter sur le
fil de ma peau entre la caresse et quelque chose d'autre. Puis elle m'a caressé
de ses fils. Les lumières se sont intensifiés. Cela ne brûlait pas, c'était
même agréable. Et la musique continuait. Elle m'a totalement enlacé, s'est
collée à moi. J'ai joui de cette chose puis d'un coup elle s'est contractée de
nouveau sur mon corps. J'étais médusé. Cet animal a pris alors une forme qui ne
m'était pas indifférente. Cela ressemblait physiquement à une femme grande et
translucide mais qui se remplissait de couleurs, qui se teintait petit à petit
pour devenir une sorte de sirène aux cheveux argentés.
Tandis que
ses fils passaient sur ma peau et caressaient ma tête. On aurait dit que cette
création simplement diabolique était le fruit de mes phantasmes les plus
fous. Apparemment, "elle"
avait lu au fond de moi ce que je ne soupçonnais encore pas, ce que je n'osais
imaginer. Comment alors, résister à la matérialisation de mes rêves les plus
secrets, les plus dingues. Cette "femme" toute neuve déjà mieux qu'ébauchée
éprouva le besoin de respirer l'air et c'est alors que je me rendis compte que
cela faisait bien un quart d'heure que je respirais sous l'eau. Nous sortîmes
en même temps de l'aquarium et je remarquai qu'un long fil restait relié à ce
dernier et plongeait dans l'eau. L a fille aux cheveux argentés avait des yeux
gris clairs et le blanc était nacré mais elle était physiquement parfaite de
corps même si elle ne parlait pas. Mes mains la caressaient sans trouver de
différence sinon en bonne qualité, entre
une peau normale et la sienne. Par contre elle semblait hyper sensibilisée à
mon contact où que je la touche. C'est comme si la liaison était plus que
charnelle, carrément électrique. Puis, nous fîmes l'amour. L'entente était tant
parfaite que ce fut tout, ce dont je désirais : le type de "scène"
qui m'apparaissait comme l'acte amoureux en soi, c'est à dire la communion
totale entre deux êtres que ce soit
physiquement comme mentalement. Chaque geste trouvait un écho ou une pose
propice, chaque pensée non exprimée une réponse immédiate. Je me souviens avoir
fait des trucs insensés en réponse à ses propres pensées, qui rendaient l'eau
de l'aquarium d'une lumière et d'une couleur, inconnues. Le parfum qui émanait
d'elle était d'une composition étonnamment bizarre. Une odeur d'algue, de sel,
sur la peau ajoutée à un parfum d'orchidée capiteuse. Il était à la fois frais,
salé et envoûtant, doux, sucré et épicé délicatement. Cette odeur puisque
c'était un parfum naturel, me rendait fou. Jamais, je n'avais ressenti une
telle excitation ni une si grande satisfaction olfactive et sensitive générale
qu'avant cette odeur. Mes forces et ma résistance s'en trouvaient décuplées.
Par contre, je ne savais pas d'où la
méduse tirait toute sa force pour être capable de tels prodiges, ni comment
elle pouvait penser car cet être n'était pas vraiment animal, pas plus
qu'humain. Et sur le coup, je ne songeais qu'à lui faire subir les meilleurs de
tous les outrages qui me passaient par la tête, et ces questions restèrent longtemps
sans réponses. C'était dangereux. Du matin, lorsque je la quittais, au soir
quand je rentrais, je ne pensais qu'à elle et mes absences s'en ressentaient
sur mon travail. J'étais comme une marionnette dont on aurait coupé les fils.
Je pris mon maximum de congés et je ne mangeais presque plus, sauf le minimum
nécessaire pour assurer physiquement. Les fils argentés, tels des guirlandes de
noël, envahissaient la maison. Elle devenait de plus en plus belle visiblement.
Le grain de sa peau était si parfait qu'un tatoueur japonais en serait devenu
gaga, rien qu'au toucher. Je ne recevais plus personne. Les quelques uns qui
entrèrent chez moi, constatèrent la présence d'une chose bizarre dans mon
aquarium, rien de plus. Cette chose qui se dépêchait une fois l'intrus reparti,
de s'épanouir pour venir m'aimer. Cette fille était vraiment trop sensuelle
pour qu'on puisse lui résister. Quelque chose au fond de moi m'avertissait d'un
danger. Je savais que ça ne durerait pas et ceci me faisait souffrir. L'idée de
la perdre m'était si odieuse et tout pourtant semblait aller à l'encontre de
mes craintes. Ce doute sournois m'avait pourtant bel et bien miné, ce qui me
donnait dans nos rapports une telle violence, comme si ça devait être la
dernière fois. Mais à chaque fois nous recommencions et ma douleur intérieure
n'en était pas moins forte. Je n'avais rien à apprendre d'elle puisque c'était
le fruit de ma pensée. Par contre, sous ce masque, elle pouvait tout découvrir
de moi. Ceci me faisait peur car j'étais vulnérable ô combien. Mes expériences
précédentes m'en seront le témoin. Petit à petit, je prenais conscience de ce
qu'elle pouvait être mais je ne cernais pas ses motivations, ni ses buts. Au début, c'était merveilleux. Si merveilleux
que rien de ce que j'avais vécu auparavant ne pouvait y être comparé. Une chose
me retenait de me laisser totalement maîtriser par cette entité si humaine et
envoûtante fut-elle et je m'apercevais trop bien que je perdais cette chose,
plus encore le réflexe de me défendre contre ce phénomène. Elle était une
drogue et ses effets sur moi étaient annihilateurs de volonté et je perdais ma
liberté sans vouloir la préserver. Et ça, je le savais être ma perte. Alors un
soir, j'eus une impression étrange sur la « highway », et je fis demi-tour
pour retourner sur la ville. Je pris une chambre d'hôtel et je ne rentrai pas
pendant cinq jours. Ce fut terrible. En sortant du boulot que j'avais repris
après mes quelques vacances, je me précipitais dans cet hôtel et je me mettais
à pleurer. J'étais physiquement lié à cet être et l'éloignement était une
déchirure. J'avais appris une chose. Je ne l'aimais pas. Ce que j'aimais,
c'était la part de moi que j'avais mis dedans et elle se servait de cela pour
je ne sais quoi. Mais, je parviendrais à le savoir, à un moment ou un autre.
J'avais tellement envie d'elle. La retrouver au bout des cinq jours. Je fonçais
chez moi pour me retrouver avec elle. Quand je pénétrai dans la maison,
celle-ci était vide. L'aquarium ne recelait plus rien. Je courus comme un fou
dans toute la maison pour retrouver une trace d'elle. Elle était partie. Alors
je m'effondrai en larmes, prostré de douleur tant physique que morale. J'avais
sauvé ma liberté et je m'étais sauvé moi-même de je ne sais quoi. Mais quelle
est donc cette liberté qui m'oblige à vivre sans le réconfort, le bien être
qu'elle m'apportait. Et qu'étais-je devenu, moi qui n'étais plus que l'ombre de
moi-même, une loque en pleurs, une serpillière gorgée de larmes qui traînait
toute la journée en quête d'un repère. Mes pas sur le sable, s'effaçaient au
fur et à mesure que je me rappelai de moins en moins d'elle. Les photos,
j'aurais dû en prendre pour me raccrocher à cette image, pour ne pas être de
plus en plus persuadé que ça avait été un beau rêve et rien de plus. Je déambulais
sur la plage au soleil couchant puis je m'asseyais face à la mer en attendant
qu'elle me prenne.
Cela fait
cinq ans maintenant, que ceci s'est passé. Alors que je relate ces faits, je ne
suis pas sûr qu'ils me soient vraiment arrivés et quand bien même cela se
serait-il produit, jamais je ne saurai ni pourquoi ni comment.
Je vis
maintenant avec une fille qui m'a recueilli au bord de la plage, en pleurs,
alors que la mer m'avait rejeté en un tas gluant et argenté. Et c'est marrant,
quand nous faisons l'amour, j'ai toujours peur qu'elle parte au boulot.
Pourtant je sais que je suis l'homme qu'elle a toujours aimé en secret, sans le
savoir. Je l'ai lu dans ses pensées. Mon plus cher désir est d'être son bonheur
le plus complet et de vivre avec elle au bord de cette plage du pacifique pour
l'éternité sans l'étouffer de ma présence. Mais je sens que mon silence lui
pèse. Je ne puis parler. Je ne peux m'exprimer qu'en émanations lumineuse et
odoriférantes. Je sais qu'elle m'aime mais pourquoi est-elle si malheureuse au
dedans. Sait-elle que je pense? Sait-elle que j'ai une âme ?
Grâce à
elle, j'ai retrouvé forme humaine et c'était mon plus cher désir. Maintenant,
elle va me laisser tomber, je le sens. Je me donne physiquement de plus en plus
fort et elle de concert, au fur et à mesure que nous souffrons tous les deux.
Je sais que si elle me laissait trop longtemps, je n'aurais d'autre choix pour
survivre que de gagner la mer coûte que coûte. Elle est belle et écrit des
romans, comme moi autrefois et je sens que je l'inspire comme aurait pu
m'inspirer cette autre que j'ai perdue dans les vagues du pacifique, je le sais
maintenant. Pourra- t elle connaître un jour ma vraie nature? Savoir que je
n'ai pas toujours été ainsi, que je suis au fond un être humain et que l'amour
qu'elle croît être artificiel, issu de son esprit est pourtant bien réel et que
c'est de ça que je me nourris, dont j'ai besoin pour vivre au delà du temps.
Mais ce dont j'ai pris conscience c'est que cet amour trop fort, finit par se
détruire car il soumet en esclavage les deux parties prenantes dans cette
histoire et qu'à trop vouloir de cette nourriture, je vais devoir un jour
gagner la mer car elle sera partie, la mort dans l'âme et je serai devenu une
âme chez les morts, flottant entre deux eaux en attendant d'être échoué à
nouveau. Je sais qu'elle sera emportée par les eaux et qu'un beau matin, un
jeune homme tombera amoureux d'un tas de glaires, une méduse bizarre aux fils
argentés qui aime la musique et émet de la lumière mais qui surtout a tant
besoin d'amour.
JPABT