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Echouée sur la plage au soleil couchant j'ai recueilli

une méduse aux fils argentés. Elle n'était pas belle. On aurait dit un tas de

glaires translucides. Je me suis brûlé les mains en la portant. Alors j'ai pris

des gants pour la plonger dans un aquarium d'eau de mer. Ella a bouffé tous les

poissons qui s'y trouvaient pour faire beau. Alors elle m'a dit merci. Elle

s'est épanouie et s'est mise à luire dans l'aquarium. J'ai éteint la lumière et

ça se reflétait sur les murs bleus. J'ai allumé le laser et le cd a porté ses

notes jusqu'à la paroi de verre de son refuge. Les vibrations, elle les a

ressenties agréablement et les lumières se sont faites plus douces, plus

changeantes aussi. Je lui ai parlé et elle réagissait de lumières en lumières

dans des teintes sentimentales, comme un appel. J'ai changé de cd et j'ai

balancé la gomme d'une musique synthétique aux airs marins. Ses lueurs sont

devenues provocantes, engageantes et je me suis mis à me poser des questions

sur leur nature. Etait-ce pour me remercier ou par simple curiosité animale?

N'y tenant plus, j'ai laissé tomber mon peignoir encore humide et je me suis

plongé avec elle dans l'aquarium. Chacun dans son coin, on s'observait. Je

n'osais rien faire pour ne pas l'intimider. Ses fils semblaient hésiter sur le

fil de ma peau entre la caresse et quelque chose d'autre. Puis elle m'a caressé

de ses fils. Les lumières se sont intensifiés. Cela ne brûlait pas, c'était

même agréable. Et la musique continuait. Elle m'a totalement enlacé, s'est

collée à moi. J'ai joui de cette chose puis d'un coup elle s'est contractée de

nouveau sur mon corps. J'étais médusé. Cet animal a pris alors une forme qui ne

m'était pas indifférente. Cela ressemblait physiquement à une femme grande et

translucide mais qui se remplissait de couleurs, qui se teintait petit à petit

pour devenir une sorte de sirène aux cheveux argentés.




Tandis que

ses fils passaient sur ma peau et caressaient ma tête. On aurait dit que cette

création simplement diabolique était le fruit de mes phantasmes les plus

fous. Apparemment, "elle"

avait lu au fond de moi ce que je ne soupçonnais encore pas, ce que je n'osais

imaginer. Comment alors, résister à la matérialisation de mes rêves les plus

secrets, les plus dingues. Cette "femme" toute neuve déjà mieux qu'ébauchée

éprouva le besoin de respirer l'air et c'est alors que je me rendis compte que

cela faisait bien un quart d'heure que je respirais sous l'eau. Nous sortîmes

en même temps de l'aquarium et je remarquai qu'un long fil restait relié à ce

dernier et plongeait dans l'eau. L a fille aux cheveux argentés avait des yeux

gris clairs et le blanc était nacré mais elle était physiquement parfaite de

corps même si elle ne parlait pas. Mes mains la caressaient sans trouver de

différence sinon en bonne qualité, entre

une peau normale et la sienne. Par contre elle semblait hyper sensibilisée à

mon contact où que je la touche. C'est comme si la liaison était plus que

charnelle, carrément électrique. Puis, nous fîmes l'amour. L'entente était tant

parfaite que ce fut tout, ce dont je désirais : le type de "scène"

qui m'apparaissait comme l'acte amoureux en soi, c'est à dire la communion

totale entre deux êtres que ce soit

physiquement comme mentalement. Chaque geste trouvait un écho ou une pose

propice, chaque pensée non exprimée une réponse immédiate. Je me souviens avoir

fait des trucs insensés en réponse à ses propres pensées, qui rendaient l'eau

de l'aquarium d'une lumière et d'une couleur, inconnues. Le parfum qui émanait

d'elle était d'une composition étonnamment bizarre. Une odeur d'algue, de sel,

sur la peau ajoutée à un parfum d'orchidée capiteuse. Il était à la fois frais,

salé et envoûtant, doux, sucré et épicé délicatement. Cette odeur puisque

c'était un parfum naturel, me rendait fou. Jamais, je n'avais ressenti une

telle excitation ni une si grande satisfaction olfactive et sensitive générale

qu'avant cette odeur. Mes forces et ma résistance s'en trouvaient décuplées.

Par contre, je ne savais pas d'où la

méduse tirait toute sa force pour être capable de tels prodiges, ni comment

elle pouvait penser car cet être n'était pas vraiment animal, pas plus

qu'humain. Et sur le coup, je ne songeais qu'à lui faire subir les meilleurs de

tous les outrages qui me passaient par la tête, et ces questions restèrent longtemps

sans réponses. C'était dangereux. Du matin, lorsque je la quittais, au soir

quand je rentrais, je ne pensais qu'à elle et mes absences s'en ressentaient

sur mon travail. J'étais comme une marionnette dont on aurait coupé les fils.

Je pris mon maximum de congés et je ne mangeais presque plus, sauf le minimum

nécessaire pour assurer physiquement. Les fils argentés, tels des guirlandes de

noël, envahissaient la maison. Elle devenait de plus en plus belle visiblement.

Le grain de sa peau était si parfait qu'un tatoueur japonais en serait devenu

gaga, rien qu'au toucher. Je ne recevais plus personne. Les quelques uns qui

entrèrent chez moi, constatèrent la présence d'une chose bizarre dans mon

aquarium, rien de plus. Cette chose qui se dépêchait une fois l'intrus reparti,

de s'épanouir pour venir m'aimer. Cette fille était vraiment trop sensuelle

pour qu'on puisse lui résister. Quelque chose au fond de moi m'avertissait d'un

danger. Je savais que ça ne durerait pas et ceci me faisait souffrir. L'idée de

la perdre m'était si odieuse et tout pourtant semblait aller à l'encontre de

mes craintes. Ce doute sournois m'avait pourtant bel et bien miné, ce qui me

donnait dans nos rapports une telle violence, comme si ça devait être la

dernière fois. Mais à chaque fois nous recommencions et ma douleur intérieure

n'en était pas moins forte. Je n'avais rien à apprendre d'elle puisque c'était

le fruit de ma pensée. Par contre, sous ce masque, elle pouvait tout découvrir

de moi. Ceci me faisait peur car j'étais vulnérable ô combien. Mes expériences

précédentes m'en seront le témoin. Petit à petit, je prenais conscience de ce

qu'elle pouvait être mais je ne cernais pas ses motivations, ni ses buts. Au début, c'était merveilleux. Si merveilleux

que rien de ce que j'avais vécu auparavant ne pouvait y être comparé. Une chose

me retenait de me laisser totalement maîtriser par cette entité si humaine et

envoûtante fut-elle et je m'apercevais trop bien que je perdais cette chose,

plus encore le réflexe de me défendre contre ce phénomène. Elle était une

drogue et ses effets sur moi étaient annihilateurs de volonté et je perdais ma

liberté sans vouloir la préserver. Et ça, je le savais être ma perte. Alors un

soir, j'eus une impression étrange sur la « highway », et je fis demi-tour

pour retourner sur la ville. Je pris une chambre d'hôtel et je ne rentrai pas

pendant cinq jours. Ce fut terrible. En sortant du boulot que j'avais repris

après mes quelques vacances, je me précipitais dans cet hôtel et je me mettais

à pleurer. J'étais physiquement lié à cet être et l'éloignement était une

déchirure. J'avais appris une chose. Je ne l'aimais pas. Ce que j'aimais,

c'était la part de moi que j'avais mis dedans et elle se servait de cela pour

je ne sais quoi. Mais, je parviendrais à le savoir, à un moment ou un autre.

J'avais tellement envie d'elle. La retrouver au bout des cinq jours. Je fonçais

chez moi pour me retrouver avec elle. Quand je pénétrai dans la maison,

celle-ci était vide. L'aquarium ne recelait plus rien. Je courus comme un fou

dans toute la maison pour retrouver une trace d'elle. Elle était partie. Alors

je m'effondrai en larmes, prostré de douleur tant physique que morale. J'avais

sauvé ma liberté et je m'étais sauvé moi-même de je ne sais quoi. Mais quelle

est donc cette liberté qui m'oblige à vivre sans le réconfort, le bien être

qu'elle m'apportait. Et qu'étais-je devenu, moi qui n'étais plus que l'ombre de

moi-même, une loque en pleurs, une serpillière gorgée de larmes qui traînait

toute la journée en quête d'un repère. Mes pas sur le sable, s'effaçaient au

fur et à mesure que je me rappelai de moins en moins d'elle. Les photos,

j'aurais dû en prendre pour me raccrocher à cette image, pour ne pas être de

plus en plus persuadé que ça avait été un beau rêve et rien de plus. Je déambulais

sur la plage au soleil couchant puis je m'asseyais face à la mer en attendant

qu'elle me prenne.




Cela fait

cinq ans maintenant, que ceci s'est passé. Alors que je relate ces faits, je ne

suis pas sûr qu'ils me soient vraiment arrivés et quand bien même cela se

serait-il produit, jamais je ne saurai ni pourquoi ni comment.




Je vis

maintenant avec une fille qui m'a recueilli au bord de la plage, en pleurs,

alors que la mer m'avait rejeté en un tas gluant et argenté. Et c'est marrant,

quand nous faisons l'amour, j'ai toujours peur qu'elle parte au boulot.

Pourtant je sais que je suis l'homme qu'elle a toujours aimé en secret, sans le

savoir. Je l'ai lu dans ses pensées. Mon plus cher désir est d'être son bonheur

le plus complet et de vivre avec elle au bord de cette plage du pacifique pour

l'éternité sans l'étouffer de ma présence. Mais je sens que mon silence lui

pèse. Je ne puis parler. Je ne peux m'exprimer qu'en émanations lumineuse et

odoriférantes. Je sais qu'elle m'aime mais pourquoi est-elle si malheureuse au

dedans. Sait-elle que je pense? Sait-elle que j'ai une âme ?




Grâce à

elle, j'ai retrouvé forme humaine et c'était mon plus cher désir. Maintenant,

elle va me laisser tomber, je le sens. Je me donne physiquement de plus en plus

fort et elle de concert, au fur et à mesure que nous souffrons tous les deux.

Je sais que si elle me laissait trop longtemps, je n'aurais d'autre choix pour

survivre que de gagner la mer coûte que coûte. Elle est belle et écrit des

romans, comme moi autrefois et je sens que je l'inspire comme aurait pu

m'inspirer cette autre que j'ai perdue dans les vagues du pacifique, je le sais

maintenant. Pourra- t elle connaître un jour ma vraie nature? Savoir que je

n'ai pas toujours été ainsi, que je suis au fond un être humain et que l'amour

qu'elle croît être artificiel, issu de son esprit est pourtant bien réel et que

c'est de ça que je me nourris, dont j'ai besoin pour vivre au delà du temps.

Mais ce dont j'ai pris conscience c'est que cet amour trop fort, finit par se

détruire car il soumet en esclavage les deux parties prenantes dans cette

histoire et qu'à trop vouloir de cette nourriture, je vais devoir un jour

gagner la mer car elle sera partie, la mort dans l'âme et je serai devenu une

âme chez les morts, flottant entre deux eaux en attendant d'être échoué à

nouveau. Je sais qu'elle sera emportée par les eaux et qu'un beau matin, un

jeune homme tombera amoureux d'un tas de glaires, une méduse bizarre aux fils

argentés qui aime la musique et émet de la lumière mais qui surtout a tant

besoin d'amour.

JPABT

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