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Les lacs

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Deux lacs voisins d’insondable profondeur.
Que cachent-ils donc sous cette noirceur ?
Quels mystérieux secrets, quelles sourdes douleurs,
Noyés sous une eau dont n’importe la couleur,
Pourvu qu’elle les occulte et les soulage.
Passé sans parents, bulles d’enfant sage

Qui reviennent de l’oubli et crèvent la surface.
Rires étouffés : Quand le manque grave l’enfance.
Ces « jamais » que rien, même les ans, n’efface.
Quand l’eau se trouble et qu’elle déborde,
Une tempête assassine, qu’oncques ne devine,
Se déchaîne, aussi muette que destructrice.
Ire tant contenue, qu’aucune onde n’aborde,
Les rives de ces lacs, si paisibles en apparence.
Ces lacs qui ne sont pas plus italiens que suisses,
Reflétant, plus sombres, d’un château, les ruines;
Les tourments d’un ciel d’Ecosse, lochs hantés par la peur,
Gardant au fond, folles légendes, amours en demeure,

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Frémissant en surface, aux vents des Highlands ou du large ;
Quand d’un bord à l’autre, la distance donne le vertige,
On se croit au bord du lac Majeur, c’est l’Atlantique,
On distingue sur l’autre rive, les gratte-ciels d’Amérique
Baignés de soleil couchant dont le souffle vient enfler les voiles
Des vaisseaux imaginaires traçant les routes de voyages
Interstellaires, traversant des nébuleuses aux couleurs suaves ;
Goûtant aux escales pleines d’extraterrestres callipyges
Beautés charnues qui vendent leur corps et pas leur âme.
D’autres par la flibuste arraisonnés, fourniront richesses et esclaves.
Pris en chasse par les destroyers véloces, bardés de canons lasers
Les pourchassant sans trêve, à travers les portes de Tannhaüser.
Les pirates sans vergogne tenteront de fuir l’implacable justice,
Se feront tailler en pièce, s’ils ne rusent pas pour éviter la lice.
Mais sous l’eau des lacs, rien des phantasmes ne filtre.
La brume de surface, comme un ciel de nuages, ne dévoile
Ni les sentiments, ni les peines, ni les plaies toujours ouvertes
Ou rouges, qu’au lieu de guérir, les ans meurtrissent.
Viendra bientôt le temps des vendanges :
Buvons les larmes, amère piquette, jusqu’à la lie
Que d’aucuns appellent Amour, car l’amour n’est qu’un philtre,
Poison dangereux ou divin breuvage qu’on crève de ne pas boire.
De s’en délecter une ou cent fois, on meurt de même.
Osciller entre joie et peine, cinq cent fois se persuader qu’on aime,
Mille fois se retourner sur un parfum de femme.
Quand un petit renard bleu des neiges, vous pose un lapin
Vous le tracez jour et nuit, au fond des souvenirs, sans fin.
Rien, que ces lacs, sous leur eau, ne trahissent.

Quand la bête aux abois est proche de la fin, que sonne l’hallali,
Devant les lacs défile toute sa vie
Qui va la quitter, elle ne demande qu’à croire
Qu’elle aura au moins une fois vraiment, aimé,
Qu’elle n’aura pas vécu en pure perte.
Croire que la vie ne s’arrête pas là, pas maintenant
Le grand givre fige l’eau des lacs, enfermant à jamais
Leurs secrets vécus et inventés, sous une banquise
Sur laquelle les rêves d’enfants glissent, patiner est de mise;
Laissant la couche chaude aux amants
Se souvenant qu’il vaut mieux faire envie,
Qu’un lac d’altitude, qu’on nomme Baïkal
Est le départ d’un voyage étrange,
Promesse d’un amour magistral
Qui finit comme il a commencé.
Même s’il est difficile de se faire à cette idée,
En une histoire particulière d’amitié ;
Des hauts de Hurle-vent, aux bas de soi
Qui s’étalent comme la marée ;
Entre orages et manque de toi,

Le coup de foudre me laisse à terre
Avant qu’à la fin je ne morde la poussière.
Une idée d’éternité, une évidence !
Regarde-moi bien au fond des lacs,
Nager en eaux troubles, semblant d’errance
Qui n’est qu’un voyage initiatique.
Ces liens celtes, certes, sont des entrelacs
Chacun son Graal, sa quête héroïque
Pour échapper aux tares ataviques,
Satisfaire son potentiel onirique.
Je ne suis qu’un enfant qui n’a pas grandi,
Même si le miroir de Dorian me montre que j’ai vieilli.
Constat amer : il n’y a que dans les romans
Qu’on peut aimer et vivre éternellement.
Quand je te reverrai, même si rien n’y paraît,
Sache qu’au fond, des tonnes d’eau sans barrage,
Mon bonheur ravagent, me causent peine et rage
Intérieures de ne savoir pas dire « oui » quand il le faudrait !

Même si ce poème t’émeut moins qu’il ne t’amuse,
Tu comprendras mieux ce que tu sais déjà de moi
Ressasser le passé c’est être un instant plus proche
Mais de cette connivence, il ne faut pas que j’abuse
Car ce qui a été ne sera plus jamais, sans reproche
Pour toi que j’aime au-delà d’amour ou d’amitié.
Alors je suis tiraillé entre la fuite et la félicité,
En nage indienne, en crabe au fond du panier, voilà pourquoi
Ils ont beau être bleus et très sombres
Pour s’éclairer, mes lacs cherchent ton ombre.

JPABT
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