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Gros plan sur une goutte de sueur qui perle sur mon front.
Y’a comme un malaise.
C’est d’une sueur froide que se manifeste mon angoisse et pourtant je n’ai pas de quoi être angoissé.
Il y a quelques millièmes de seconde, le type en face vient d’appuyer sur la détente de son colt « cobra ».
Il y a mis le temps. Faut croire qu’elle était dure, la gâchette de son feu.
Gros plan sur mon œil noir avec dedans une fenêtre ouverte sur le vrai, la lumière qui s’y reflète.
Champ, contre-champ, mon œil noir et son étincelle, l’œil du pistolet, ce trou noir et sans âme, quoique sait-on jamais.
La détonation se propage dans l’espace comme le grondement d’un orage, ou celui d’un torrent en furie arrachant tout à son passage.
Les cris de soixante dix-huit tours passent en trente trois-tours.
Ça y est, la balle comme un lièvre sortant de son terrier, vient de surgir.
Elle regarde à gauche, puis à droite, comme on le lui a appris et dans un éclair se dirige vers moi en prenant son temps dans un flash blanc et bleu qui m’éblouit.
Sortant de la fumée, je vois son corps d’argent qui tourne sur lui-même dans une rotation latérale.
Ma tête est lourde de l’alcool et de ma vie, mais je ne veux pas fermer les yeux.
C’est trop beau. J’entends un sifflement qu’elle fait en fusant l’air. Pourtant, il n’y a pas de quoi siffler !
Elle se traine comme tout depuis que j’ai traité l’autre andouille d’eunuque.
Pourtant, il n’a pas bronché tout de suite.
Quelqu’un a dû lui glisser dans l’oreille comme une peau de banane, que ça voulait dire l’un des plus beaux métiers du monde,
l’un des plus grands supplices de Tantale qui puissent exister aussi, enfin bref que ça voulait dire « castré ».
Là, comme un taureau, non, comme un bœuf, il a vu rouge ou rose… c’est dingue ce que peu de cervelle peut vous amener à faire. Lui, il vient de commencer à m’assassiner.
Ça y est, la balle s’est quand même rapprochée. Là, enfin elle me taraude la peau. Et moi je la regarde faire.
Quelle conne, elle prend son temps. Elle n’a pas encore totalement pénétré mon corps.
C’est tellement lent que ça tient de la torture, cette mort qui n’est pas violente par sa rapidité mais par sa douleur.
D’ailleurs, aujourd’hui, la douleur ne sera pas absente. Mon corps, je le sens qui me tiraille, qui me brûle, je n’ai pas envie de ne pas avoir mal, une autre fois peut-être.
Pour une fois que je ressens quelque chose.
Ça me fait plutôt marrer de voir cette balle qui s’énerve sur ma peau, tel un gamète mâle sans flagelle sur un œuf humain, forcément féminin.
Ma chair brûle, j’en sens l’odeur, puis grésille à point. Très cuite, bleue ou saignante, la viande ?
Saignante, je crois, vu la tâche qui apparaît sur ma blanche liquette à jabot, dans la lumière du tunnel que la balle continue de creuser avec de plus en plus de peine,
où s’engouffre un torrent de sang qui continue de maculer cette chemise que j’arrache. Le sang gicle lentement en face de moi, puis coule sur ma peau.
Liquide ! Liquide puis visqueux au contact de l’air. La balle vient de ressortir sous l’omoplate gauche après avoir proprement transpercé mon cœur.
Puis, fatiguée de tant d’œuvre accomplie, va lentement toujours aussi brillante, se ficher dans le mur derrière pour gagner un repos bien mérité.
Même si je n’ai pu le voir, je le sais. Le bruit en est devenu caractéristique. Ça y est. C’est plus lent à venir que parfois, mais ça vient.
Le sang monte à ma bouche et déborde. Ah, le goût métallique de mon sang. Et je ris.
Mon cœur est vide de son sang. L’autre en face est devenu pâle. Va-t-il recommencer l’opération ?
J’avoue que ça me ferait vraiment plaisir. J’adore ça. Dommage que les gens aient tant d’appréhensions. Ah, merde ! J’ai mal. Je me meurs.
Ah, ah, ah ! Quelle connerie. C’est sûr que ça fait mal. Mais comme m’a dit mon docteur : y’a pas de mal à se faire du mal !
Le plus dur, chaque fois, c’est d’avoir mal.
Mais ce qui me frappe, c’est qu’à chaque fois les gens ne veulent pas m’achever. Ça me ferait tellement plaisir d’avoir à en finir pour de bon.
Mais jamais personne n’aurait l’idée de vérifier que je devrais être mort. Alors quoi !
Pas étonnant que j’aime jouer avec la dame qui tient tous les fils entre ses mains.
Mais mon fil à moi, lui échappe toujours. Depuis combien de temps déjà ?
J’en ai crevé des hommes, j’en ai violé des femmes. Mais il n’y a pas d’enfant de mes œuvres. Jamais je n’ai eu d’enfant.
Quant aux viols, c’est leur esprit que j’ai pénétré de force, laissant leurs corps abandonnés. Pourquoi tant de pouvoir sur les mortels ? Moi qui ne suis ni mortel, ni immortel.
L’autre en face boit un coup, un demi d’un coup. Il est plein comme une outre, ce gros bœuf.
Et je continue de l’insulter. Il ne s’aperçoit pas qu’il m’a touché en plein cœur.
Tout est trop lent. Les cris en soixante dix-huit tours, sont toujours en trente trois tours. C’est pas beau à entendre.
Noir, blanc, rouge, bleu, gris. Voilà tout ce que je vois. Pourquoi m’ont-ils fait comme cela ?
Comment étais-je avant ce soir-là où un inconnu m’a acheté ce que je ne croyais pas être le plus précieux à mes yeux, déjà pleins de morgue.
J’en ai aimé des femmes, j’en ai souffert. Elles en sont mortes. Elles sont en moi, elles sont à moi.
Pourquoi depuis la rencontre de ce docteur inconnu, n’ai-je plus jamais changé ?
Comment l’expliquer ? Si ce n’est cette vieille hantise théiste. J’en ai des cicatrices, des balafres, et pourtant, je reste jeune et beau et con comme avant.
Elles, je les ai toujours aimées, toutes différentes et pourtant si semblables dans l’amour que je leur tiens,
dans la peine qu’elles me causent, m’ont causé, me causeront ou jamais car je les aurais peinées avant et dévorées ensuite.
Et puis les autres que j’aurais seulement brûlées de mon feu et dont les corps sans sommeil, chercheront à jamais à rassasier un appétit insatiable.
Pourquoi mes caresses les brûlent-elles de façon insoutenable. Pourquoi mes canines et mes griffes leur laissent-elles des marques indélébiles ?
Pourquoi ai-je toujours cette douleur constante au cœur, lancinante sans être insoutenable mais plus insoutenable car non physique,
et que j’essaie de purger par quelques trous pratiqués au palpitant par des douleurs plus fortes mais qui resteront peu de temps, car physiques.
J’ai mal au cœur, d’une fille, un jour, une seule fille, un seul soir, une seule nuit, et qui me hante pour l’éternité, qui s’était donnée puis reprise sans jamais s’abandonner.
Pire qu’une balle d’argent, elle m’a laissé ; plaie béante et souffrante à jamais.
Et cette fille, j’ai cru que c’était pour toujours. C’était pour une nuit, ma vie.
Ma vie n’est qu’une nuit sans fin.
C’était pour cette fille, qui fut tout pour moi, moi qui ne fut rien pour elle, qu’un soir j’ai vendu ce que je lui aurai donné sans partage, si elle ne m’avait laissé tomber pour l’ennui : mon âme !

JPABT