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C’est l’appel à une autre couleur plus vive encore que ce vert aveuglant, plus opaque que ce blanc de nappes.
Deux ombres le suivent à dix pas derrière lui.
Il fait froid et pourtant, sa chemise à jabot est large ouverte sur son poitrail nu.
Pourtant, il perle de la sueur sur son front qui n’est pas la rosée du matin.
Il a de la fièvre.
Ses yeux sont emprunts d’une détermination qui n’a d’égale que sa peur.
Mais la première sera la plus forte.
Ses cheveux noirs de jais, tombant sur ses épaules rendent encore plus pâles, ses traits crispés.
Le silence glacial est répercuté par l’écho brillant de quelques corneilles irrespectueuses et les murmures des ombres aux oreilles du jeune homme.
Sortant du brouillard, comme un diable de sa boîte, un autre homme, aux traits plus forts, plus marqués, il est plus vieux.
Son assurance est trahie pour qui s’y attacherait, par les battements des ailes de son nez, et de ses tempes.
Sa chemise immaculée, impeccablement mise, son col boutonné jusqu’au cou, imperturbable, il avance.
Il connait déjà cette scène, qui n’est jamais la même, qu’il craint et qu’un certain goût dans la bouche,
le pousse à jouer aussi souvent qu’il est permis à son susceptible honneur de lui faire froncer ses moustaches.
Au fond, il n’a de rancœur qu’envers lui-même et ce garçon inexpérimenté qui lui fait face, va en payer le prix.
Car le jeune homme n’a d’expérience que par ses lectures, de ce passe-temps d’imbéciles qu’est le duel.
Il a essayé de reproduire maladroitement les bottes, dans sa garçonnière, aux prises avec un mannequin de couturière, seul souvenir de sa mère partie trop tôt.
Soudain, les voix des ombres se font plus sentencieuses et annoncent les règles de ce jeu fou.
Alors dans un vacarme de cloches divines, les lames s’aiguisant dans les fourreaux qui finiront jetés dans l’herbe,
jaillissent telles deux torrents de glace et toute la lumière ambiante se trouve soudain concentrée le long de leur corps effilés et tranchants, éblouissants d’un soleil qui n’est pas visible derrière la nuée.
Les chocs de ces deux piques tintent dans l’écho de l’air cristallin.
Bientôt, le deuxième homme prend le dessus et entame le bras gauche de son adversaire droitier.
Le premier sang a coulé, mais ce combat est à mort et sans raison.
Le vert de la prairie et le blanc du brouillard et des chemises se réjouissent.
Le rouge écarlate du jeune homme, orne la manche, d’une tâche s’élargissant tandis que l’odeur métallique de son liquide vital vient lui chatouiller la narine
et lui insuffle la rage, celle du taureau dans l’arène au moment où les picadors viennent lui chatouiller les flancs.
Les rapières brillent et tintent dans un rythme qui ne faiblit pas. Et par chance, la lame du jeune homme vient se planter entre les yeux du vieux briscard des duels.
Il ne connaîtra jamais la raison de ce renversement.
Le garçon tremble encore de peur, tandis que de la bouche du vieux duelliste sort un dernier souffle.
Et se fige sur le visage le sourire de celui qui meurt comme il l’a toujours cherché, dégoulinant de sang, le regard fixe vers une direction,
quelque chose qui toute sa vie durant lui posera la question à laquelle le vieux fou vient de trouver la réponse, imprimée par plus fort que lui, un trou sous le front.
Le rouge a rejoint le vert, après le blanc, tandis que les ombres du deuxième homme emportent son corps, à la dérobée, comme pour s’excuser d’avoir failli.

L’instant est déjà moins beau.
L’air libéré, comme si celui-ci avait été totalement inspiré par le défunt au moment de son dernier combat et relâché
avec son dernier souffle, reprend sa place et la vie reprend déjà ses droits, la nature, son concert.
Le brouillard, rideau éphémère d’éther froid, se lève, s’évaporant aux projecteurs du dieu soleil.

Un duelliste meurt. Le jeune homme est un nouveau duelliste.

Il ne pourra plus se défaire de cette passion du jeu mortel, de la compétition ultime. Ses premières armes, il les a faites au détriment de ce pauvre drogué du jeu qui cherchait sa mort.
Toute la théorie et son entraînement d’escrimeur en feront une machine parfaite.
Sa jeunesse et sa beauté en feront une proie rêvée, qui cache un carnassier ; prédateur des querelleurs belliqueux, provocateur assassin.

A son tour, il connaîtra l’automne mais peut-être pas l’hiver de cette carrière.

Un jour, il connaîtra la même fin, le goût du sang dans la bouche,
au front, la mouche.



JPABT

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