face2c.jpg

scotché dans la boue

Dans la lumière rouge d’un matin, allongé de tout son long, l’homme songeait à l’orage de la nuit d’avant.
Il était maintenant malade dans ce jardin d’Eden où la rosée s’évaporait en nuages exotiques.
Ici encore, il resterait la nuit durant, toute sa vie jusqu’à sa fin prochaine.
Le soleil levant luisait rouge sur cette forêt d’un vert abondant d’eau.
Des oiseaux d’argent brillaient dans le ciel qu’ils traversaient tels des flèches de feu.
Le jour commençait à chauffer l’atmosphère, mais pour le réchauffer lui, il était trop tard.
Le sang rouge ne coulait plus sur son habit vert.
Des insectes d’argent avaient croisé sa route, volontairement.
L’un était ressorti de lui, mais l’autre, Jérémy avait réussi à l’enfermer dans son ventre.
Il sentait bien que la bête voulait sortir. Ça lui faisait si mal.
Autour de lui, la jungle semblait un matelas de verdure, un peu de fraîcheur dans cette atmosphère pesante, presque étouffante.
Ses copains étaient là avec lui et lui tenaient compagnie mais il n’entendait plus leurs voix, il ne sentait plus leurs souffles.
Tiens ! Là-bas se tenait Harry qui dormait dans les bras de Jerry son coéquipier.
Il avait pas compris quand il s’était mis à pisser le sang ; mais Jerry, lui avait bien vu qu’ils étaient devant la sortie d’un nid de frelons métalliques Viêt-Cong.
Alors il était allé le tirer de là. Mais les frelons trop voraces, avaient aussi transpercé Jerry.
Leurs yeux ouverts ne fixaient plus rien. Ils regardaient devant eux, comme si ils voyaient quelque chose que Jérémy ne pouvait pas voir.
Alors, Jérémy, il voulait savoir. Pourquoi malgré tout, il ne pouvait pas dormir comme tout le monde.
Immobile qu’il était, Jérémy fit pivoter sa tête pour voir alentours.
Il remarqua en revenant à sa position initiale que les sangs qui coulaient sur la peau noire de Jerry et sur la peau blanche de Harry, se mêlaient dans une flaque où venaient boire les insectes de la forêt.
Il avait reconnu là-bas à droite, le bras de Bob à son tatouage, alors que Bob, il gisait à sa gauche, enfin, la moitié du bas,
tandis que le haut de Bob avait réussi à ramper d’un seul bras loin de la bouillie que la mine antipersonnel avait laissé du bas.
Sacré Bob, il fallait toujours qu'il se démarque des autres. On le surnommait "l'original".
Mais malgré tout, c'était un type formidable qui se serait coupé en quatre pour ses potes.
C'est d'ailleurs ce qu'il s'était passé.
Jérémy, il n'avait pas peur, mais le fait que tout le monde ferme sa gueule, ça le faisait chier.
Il sentait bien qu'il y avait un froid. Depuis leurs classes, ils étaient ensemble. Lui en voulaient-ils tous, de ne pas partir avec eux?
Puis il se résonna et conclut que non. Il rechercha une compagnie. Le temps qu'il lui restait, il ne voulait pas le passer tout seul.
Il rampa jusqu'à Richard car il savait trouver dans son paquetage, son transistor. Bingo! Les piles étaient neuves, Richard avait été prévoyant.
Depuis qu'il avait appris qu'il était papa, il faisait attention à tout, il avait même posté son premier mandat hier.
La douleur, ça lui déchirait le ventre, alors Jérémy revint à sa place.
Il ne voulait plus bouger maintenant, car cela réveillait la bête qu'il gardait en lui, et puis de toute façon, il fallait conserver l'harmonie de ce tableau de chasse Viêt-Cong.
Et Jérémy, c'était un artiste, il respectait ça chez les gens.
Il alluma la radio. Il voulait écouter les Rolling Stones.
Il se disait qu'il pourrait mourir heureux sur "Time is on my side", ou bien "Heart of stone".
Le gars qui causait dans le poste, c'était celui qui tous les matins criait "goooood morning Vietnam".
Il se sentait un peu chez lui maintenant. Le gars de la radio joua "Paint it black", une nouveauté.
Il aimait ça aussi. Son sourire se figea de façon éternelle et il rejoignit ses potes, sur un air des Stones.

JPABT

REQUIEM