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Dans le soir d'un été neigeux, je battais le pavé brûlant d'une rue déserte.
Il faisait chaud, faisait froid et je n'avais pas encore contracté ce virus qui courait partout.
Les signes en étaient partout présents:
Des accélérations du rythme cardiaque, des frissons,
des bouffées de chaleur, comme des noeuds dans le ventre.
J'adorais et je détestais cette maladie. Pourtant, je l'évitais comme la peste.
Tous ceux qui se tenaient la main, se regardaient dans les yeux ou même s'embrassaient,
dans l'espoir inconscient d'une guérison, avaient en perspective beaucoup de fil à retordre.
J'avais connu ça autrefois, et ça faisait trop longtemps pour que mon corps s'en souvienne.
Mais ma tête et mon coeur en portent pour toujours la marque.
Mon ventre aussi, il me semble.
J'étais de ces oiseaux qu'on ne voit jamais parce qu'ils ne sont pas là.
Je volais entre deux eaux pour ne pas être vu, pour ne pas être pris aux pièges des humains.
C'est tout juste si ma lumière accrochait la pellicule argentée et c'était bien là ce que je cherchais.
Je volais à des kilomètres dessous ou dessus mais jamais de concert avec les bêtes humaines.
J'exécrais leur façon de trouver du réconfort, de se faire pardonner, leurs bassesses, de vouloir vivre
une autre vie supplémentaire, ayant déjà gâché celle-ci, dans un paradis qui n'existe pas plus que l'enfer.
Je trouvais ignominieux de faire passer ses espoirs, son amour, au nom d'une essence sans corps,
d'une essence sans essence, sans pétrole.
Je ne voulais pas, comme eux, remettre mon âme aux mains de ce rien qui peut déplacer des montagnes.
Je ne croyais en rien, ça me sauvait de tout mais surtout des autres et de ce fardeau qu'on nomme un dieu
qui évite aux hommes de porter seuls le poids de leurs pêchers et de se poser les vrais, les bonnes questions.
Et moi, je pouvais pêcher dix fois, cent fois comme eux, je ne me sentais que plus léger. Je ne croyais pas en ça.
Et c'est bien simple, le fait qu'on veuille me faire y croire, au départ et tout le long
du parcours de ma vie, c'est aussi coupable que le communisme et c'est bien pire.
Je ne savais pas pourquoi je vivais. Je savais comment, que ça avait été
difficile au début et ça n'avait rien à voir avec un embryon de déité.
Je ne pouvais pas en être absolument sûr mais tous les autres aussi, étaient des moi,
et moi, j'étais un autre que moi. Enfin, c'est ce qui apparaissait dans l'éclairage qui dérange
de quelqu'un qui vous juge, non sur votre apparence mais sur votre vérité; ou plutôt, pas la vérité mais la réalité.
Une vérité, c'est tellement subjectif, elle dépend du nombre de personnes qui disent la détenir
et peut être aussi bien un mensonge qui s'ignore.
La réalité dépend du point de vue où l'on se place, elle est multi-focale.
A d'autres moments, quand je me suis senti merdeux, là, je sentais pleinement ma valeur.
Et je n'avais pas de quoi pavoiser.

Un exemple : tout à l'heure, je me suis senti pire que merdeux.
Quelqu'un venait de renverser, avec sa voiture, une chatte pleine jusqu'aux yeux.
J'ai pas vu l'accident proprement dit, mais la boule de poils au milieu de la route, qui respirait encore.
Comme presque morte. Mon coeur a bondi vers cette boule de poils pour l'aider mais je n'ai pas bougé.
Personne n'a bougé. Elle était là, au milieu de la route, exposée. Puis, elle s'est mise sur ses pattes.
Apparemment elle avait la patte arrière gauche cassée. Puis elle m'a regardé,
les yeux perdus je ne sais où, en état de choc. Sa bouche pleine de sang.
Mais je n'ai rien fait et les voitures l'évitaient. Il aurait peut-être mieux valu la buter, une fois pour toute.
Tous les signes d' hémorragie interne. Elle n'en n'avait pas pour longtemps.
Elle s'est mise à marcher pour aller se cacher derrière l'arrêt de bus d'en face.
Elle attendait la mort comme nous, le car naval.
Je suis monté et dans le bus qui s'éloignait, je l'ai vue qui me fixait toujours, crachant le sang par sa bouche.
J'ai eu mal au coeur de n'être pas intervenu, et qu'elle ne soit pas morte sur le coup.
J'ai souhaité qu'elle meure d'un coup, et peut-être pour le spectacle d'un corps démantibulé,
complètement éclaboussé de son sang, mordant la poussière, l'oeil encore vivant,
plein de reproches envers l'adversité et les humains, avec leurs
maudites machines.

JPABT