B.A.M

Faim du monde

La cuisse du rat dans la main, le pain dans la bouche, je mâchais de bon cœur ce que le destin me mettait dans le ventre.
J’avais à manger et à boire, l’eau de pluie n’était pas toujours contaminée et le toit de tôle ondulée faisait parfaitement son office.
Les moisissures donnaient du goût au pain et le rat rôti à la broche avait une corpulence qui correspondait à mon appétit.
Pour ce qui est des femmes, il me fallait bien souvent me contenter de la « veuve poignet » parce que je n’aimais pas me faire à l’idée de me taper les cadavres.
Et puis, ils étaient toujours pleins, parce que des salauds dans mon genre, il en survivait pas mal. Ils ne croyaient pas que les scorpions survivraient.
On pensait seulement aux bestioles. Mais les hommes et les femmes aussi, se bouffaient, se tuaient, s’aimaient, dans l’ordre ou dans le désordre.
Chacun défendait son territoire, comme de vraies bêtes, des prédateurs. Plus question de procréation. Les derniers vivants étaient rendus stériles par les radiations.
Plus rien d’autre que des mutants à naître, pour ceux qui échappaient à cette réalité. Peu d’entre eux seraient viables et la totalité stériles eux aussi.
L’espèce humaine était au bord de son néant et je ne voyais pas pourquoi je continuais à vivre.
C’était purement mécanique, parce que je ne pouvais pas imaginer autre chose que la fin de mon monde.
Ce qui m’était insupportable. De plus, la volonté de ne pas finir comme sac à foutre et nourriture pour les autres, me poussait à me battre.
C’est tout ce qui me restait d’humain, cette dignité, le semblant de fierté dans un univers
qui s’écroule où la fierté est bien la dernière chose qu’on pourrait y trouver.
Je ne voulais pas finir bouffé par ces porcs qu’on appelle hommes, mes frères.
Alors n’y tenant plus, je me suis fait sauter la tête dans le plus profond des égouts et bouffé par la seule espèce
qui émergerait difficilement car avant de leur laisser la place, les hommes leur avaient bien pourri la situation.
Mais ils finiraient par vaincre : les rats.

JPABT