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Pragmatique


Prague bruissait d’espoir
Et mon cœur amoureux
Ne songeait pas à voir
Plus loin que mes yeux

Le printemps fleurissait le pavé
Où nos pas nous menaient
La main dans celle de l’autre, liés
Exaltés par ce rêve de liberté

Nous avancions insouciants
Et pourtant jeunes amants
Des idées belles de nouveauté
Depuis janvier poussèrent jusqu’à l’été

Mais ce printemps qui avait vu naître la vie
Aurait pu susciter d’autres peuples l’envie
De se libérer du joug et de l’emprise qu’on a ravi
Au nez et à la barbe des dirigeants du pacte de Varsovie.

Elle, qui admirait mon engagement
Voulait de cette force pour amant
Mais sa fascination sans détour
N’avait rien à voir avec l’amour

Et se sentant en danger
D’être l’amante d’un opposant
Elle finit par s’en détacher
Et trouver plus captivant l’autre camp

Sans ciller elle me trompa
Un bolchevique dans son lit
Elle mit, ma confiance elle trahit
Et pour se sauver, me dénonça

Enfermé dans les geôles
Y repenser m’affole
Aimé et trahi pour mes idées
Par une petite Salomé

Plantés sur un sol de jachère
Avec mes amis contre des poteaux
Alignés en rangs de poireaux
Déjà les pieds dans la poussière

Chaque salve de balles qui sifflent
Claquent à mon oreille comme des gifles
Avec un bruit de mitraille qui martèle
Comme s’abat une averse de grêle

Avant dans un bruit sec de se ficher dans le béton
Enlevant leur souffle à mes compagnons
Pauvres baudruches qui se dégonflent de la vie
Et de la liberté dont nous étions épris

J’entends encore le cliquetis des armes automatiques
Ma dernière pensée : qu’à bien y réfléchir
Aujourd’hui c’est mon tour de mourir
Parce que cette fille était une pragmatique.

JPABT